Ma famille a fini par accepter mon absence d’odorat, mais sans mettre de mot dessus
Bonjour tout le monde !
Ca fait très bizarre de voir un espace consacré à l’anosmie, j’ai pas l’habitude (c’est effectivement un sujet très ignoré) mais c’est une très belle initiative je trouve, je félicite son créateur, et faisant partie moi-même de la famille des anosmiques congénitaux, j’ai lu avec un certain plaisir des expériences similaires à la mienne (avec un sentiment « d’enfin »), et je me dis que je peux peut-être partager la mienne, si ça aide. Pour le coup, peut-être parce que je suis plus jeune, on a repéré et diagnostiqué mon anosmie plus tôt que pour la plupart des témoignages que j’ai pu lire ici. Ca tient aussi du fait que je ne suis pas le premier à l’être dans ma famille : ma grand-mère maternelle avait perdu l’odorat jeune, comme sa mère avant elle ; en revanche, ma mère et mon frère peuvent tous les deux sentir, et pour la fille de ce dernier, on attend de voir.
Cela dit, enfant, on me mettait également dans la case « menteur » : mes parents pensaient que je voulais imiter ma grand-mère, le médecin de la famille ne m’a pas pris au sérieux (je n’aurais peut-être pas dû répondre à la question « ça sent comment les poubelles » par « mauvais »), et je crois me souvenir que mes camarades de classe, quand j’en parlais, essayaient de prouver que je mentais. Donc j’ai aussi fini par faire semblant ou juste par ne pas en parler, et par ne plus protester quand on me disait de finir mon riz ou ma semoule (qui sont simplement immangeables sans beaucoup d’assaissonement, soyons clairs) J’ai même un souvenir d’enfance ou ma grand-mère, elle aussi anosmique je le rappelle, me tend des fleurs qu’elle a cueillies en me disant « sens-les, ça sent bon, non ? » et moi de répondre pour lui faire plaisir un « oui ! », sans savoir qu’elle ne le savait pas plus que moi. En y repensant, ça me fait sourire.
En revanche, je sais que j’ai dû faire un réel effort, en grandissant, côté hygiène. Je ne l’ai pas beaucoup vu évoqué ici, alors c’est peut-être personnel, mais la douche était complètement dénuée d’intérêt pour moi, de même que le brossage de dents. Je passais le plus clair de mon temps à m’amuser à mettre des « coups d’haleine » quand j’étais petit, parce que ça m’amusait de voir la réaction des gens. Ca a commencé à changer quand j’ai découvert l’aspect romantique des relations, où là, forcément, ça dérangeait plus. Des automatismes à prendre qui ne me semblaient pas naturels. Même problème avec les pets en public d’ailleurs. Au bout d’un moment, je crois que ma famille a fini par accepter mon absence d’odorat, mais sans mettre de mot dessus. C’était juste comme ça. Je mangeais plus vite et plus épicé et je pouvais faire la litière des chats sans problème, et puis voilà. C’est en voyant un documentaire à la télé, vers mes 15-16 ans, que ma mère s’est dit qu’aller voir un médecin était peut-être une bonne idée.
Donc rendez-vous à l’hôpital avec un médecin visiblement très sceptique de ce qu’on lui disait pour ensuite passer une IRM et amener les radios à un spécialiste, résultat : mes nerfs olfactifs ne sont pas reliés à mon cerveau, inopérable, pas de rééducation possible (ce qu’espérait ma mère, c’était le but de la démarche), et un nom : anosmie congénitale. Finalement, ce qui a changé après ça, c’est que ma mère s’était un peu plus informée sur le sujet, qu’elle avait commencé à changer sa cuisine (j’ai redécouvert des plats, incroyable), qu’elle en parlait autour d’elle, que son fils, lui, en fait, il avait pas d’odorat, que ça marchait comme ça du coup…
Après, avec l’entrée dans les études supérieures, j’en parle assez librement, les gens me croient davantage qu’auparavant (le covid a dû aider, sans doute), et si les remarques du genre « pratique dans le métro » ou autres bourdes du style « ça sent bizarre non ? » sont inévitables, en général j’en ris plus qu’autre chose, quand ça vient d’amis. J’ai connu une ou deux personnes qui avaient elles aussi des problèmes d’odorat, desquels on avait longtemps parlé sur le moment ; et une amie proche s’évertue depuis quelques temps à m’écrire une lettre pour me « décrire les odeurs ».
Donc effectivement, c’est très différent d’une perte d’odorat, et j’envoie beaucoup de force à ceux/celles qui en sont ou en ont été victimes, l’impact psychologique lourd m’est totalement étranger et iels ont beaucoup de courage. Pour ce qui est du fonctionnement au quotidien, je rejoins beaucoup d’autres, une mémoire plus auditive, une relation compliquée à la cuisine, une peur du gaz, devoir répéter des explications, demander à quelqu’un si je pue, et de goûter tel reste du frigo dans le doute, découvrir parfois un pipi de chat vieux de quelques jours déjà dans un coin de l’appartement, pas de parfum, et finalement beaucoup de questions sans réponses, mais elles restent loin, et je préfère largement narguer mes amis avec un grand sourire quand quelqu’un pète plutôt que de réfléchir sur la méta-physique de ma perception du monde.
J’ajouterai pour finir que le manque de goût est tout de même assez pratique pour rester loin de l’alcool, de la malbouffe ou pour devenir végétarien (en tout cas, ça l’a été pour moi). J’espère ne pas avoir été trop long, comme je l’ai dit, ça fait bizarre d’avoir un espace de parole consacré, alors je me suis peut-être laissé emporter^^’ Encore une fois, belle initiative, bel espace de partage, et beaucoup de force à tous, je vous souhaite une belle vie, c’était une belle expérience que de lire tout ça !
Anonyme