Naître sans odorat – être anosmique de naissance
Se construire sans odorat
Si la majorité des anosmies sont acquises, 5 % sont de naissance. Pour les personnes touchées cela implique de se construire avec un sens en moins; et, pour une partie d’entre elles, de gérer les conséquences de syndromes associés. Voilà quelques-unes des situations ou préoccupations les plus régulièrement soulevées ou discutées par les personnes accompagnées par notre association.
L’impression de vivre dans un monde parallèle
Les personnes anosmiques de naissance ne parviennent pas à se représenter ce qu’est une odeur, même en tentant de conceptualiser cette notion. Il n’y a rien. Le vide. Elles sont pourtant entourées de personnes qui agissent et interagissent notamment en fonction des senteurs.
Tout le monde parle d’odeurs, partout, tout le temps et ce, même sans s’en rendre compte. Les personnes anosmiques de naissance sont confrontées quotidiennement à ce monde dont elles n’ont pas tous les codes : elles doivent s’appuyer sur les perceptions de leurs autres sens et sur leur esprit de déduction pour approcher la compréhension de leur environnement et des situations. C’est pourquoi elles se sentent souvent à l’écart, dans un monde parallèle.
Une découverte tardive et délicate de son anosmie
Parce qu’aucun dépistage n’est effectué dans les maternités, dans les écoles maternelles ou par les pédiatres et médecins traitants, l’anosmie est souvent diagnostiquée tardivement, et généralement par les anosmiques eux-mêmes. Les enfants « finissent par comprendre » qu’ils n’ont pas accès aux odeurs dont ils entendent si souvent parler. Un sentiment d’incompréhension et/ou de honte est très souvent rapporté. Certains enfants craignent cette absence, pensant qu’elle est symptomatique d’une maladie très grave ; d’autres sont très embarrassés de ne pas pouvoir sentir, y voyant une forme d’échec. A l’inverse, une partie dit ne pas s’en préoccuper.
La difficulté du diagnostic
Lorsque l’enfant anosmique se rend compte de son absence d’odorat, il peut avoir plusieurs attitudes: avoir envie d’en parler à ses parents ou, au contraire, vouloir la cacher. Dans le premier cas, il peut arriver que certains parents aient du mal à croire la parole de leur enfant et n’interviennent que des années plus tard. Dans le second cas, l’attention des parents sera nécessaire pour déjouer les « ruses » de leur enfant et « deviner » l’anosmie de leur enfant. Dans tous les cas, il est important de rapidement consulter le médecin traitant puis l’ORL.
Accepter de faire le deuil de son odorat
La prise de conscience que les gens ont un sens supplémentaire qui permet entre autres d’accéder à des plaisirs quotidiens ainsi qu’à une multitude d’informations (et auquel on n’accèdera jamais), engendre un processus qui peut s’apparenter à un deuil. Durant cette phase, la personne ressentira souvent un choc, passera par le déni et la colère, puis passera par une grande tristesse. Avec le temps elle acceptera sa situation puis arrivera à aller au-delà en s’adaptant et en allant de l’avant. Il est nécessaire qu’au cours de cette évolution, la personne soit accompagnée et entourée de personnes de confiance.
Se laver ? Pour quoi faire ?
L’hygiène est très importante autant sur le plan de la santé que sur le plan olfactif. Cette information paraîtra évidente aux normosmiques (personnes ayant un odorat inaltéré) mais elle l’est moins pour les enfants ou adolescents anosmiques de naissance. À moins que cela ne leur soit expliqué, les anosmiques de naissance ne peuvent pas savoir que le corps humain émet des odeurs, de la tête aux pieds, et que celles-ci peuvent être désagréables. C’est très souvent au contact de la famille ou des autres qu’elles apprennent et comprennent qu’il est judicieux de se laver après une séance de sport, de changer régulièrement sa tenue ou d’éviter de manger certains aliments avant un rendez-vous galant…
Bien souvent, pendant leurs premières années et à l’adolescence, les personnes anosmiques congénitales ne comprennent pas l’utilité de se laver et négligent ce sujet crucial. Le lien et la relation aux autres peuvent en être perturbés. Et une fois qu’elles en prennent conscience, le rapport aux autres peut être tout autant impacté par leur crainte de « sentir mauvais ».
« Alors il est bon mon plat ? »
« Joker ! »
Lorsque l’on déguste un plat, tous nos sens interagissent, notamment le goût et l’odorat. Dans le langage courant, on parle de « goût » pour désigner en réalité un ensemble de perceptions qui se marient.
Être privé d’odorat limite donc l’accès de la personne anosmique à une grande partie des plaisirs de bouche, et ainsi, à tout un univers social jugé important par la société dans laquelle nous évoluons. Un apéro ? Une visite de cave ? Un salon de thé ? Un restaurant ? Certaines personnes anosmiques y voient peu d’intérêt et préfèrent s’exclure de ces moments de convivialité. D’autres, allant au-delà de cette limite, se concentrent sur l’aspect social et acceptent d’entendre des choses qui leur sont abstraites, voire tentent d’expliquer avec difficulté ce qu’elles perçoivent. D’autres encore arrivent à déceler ce qui leur plaît dans tel ou tel plat et à apprécier les repas qu’elles consomment.
Les dangers domestiques
La sécurité est un sujet de préoccupation quotidien. Les anosmiques de naissance sont par exemple incapables de sentir une fuite de gaz ou un départ de feu. Elles sont, en plus, souvent responsables de ces dangers : les personnes anosmiques brûlent fréquemment le plat qu’elles ont mis à cuire ou oublient d’éteindre une bougie, n’ayant pas d’information olfactive pour le leur rappeler.
De la même manière, elles ne sont pas alertées par l’odeur d’un mélange hasardeux de produits ménagers. Les gaz toxiques ainsi dégagés provoquent des nausées et des malaises si les personnes concernées n’aèrent pas la pièce dans laquelle elles se trouvent.
Ces personnes sont par ailleurs fortement exposées aux risques d’intoxications alimentaires. En effet, de nombreux aliments commencent à sentir mauvais avant qu’on puisse constater visuellement le danger. Aussi, pour se mettre à l’abri du danger, certains anosmiques s’empêchent de manger des aliments plus « sensibles » que d’autres, lorsqu’elles ne sont pas accompagnées de normosmiques pouvant les rassurer quant à leur fraîcheur.
Se mettre au parfum des relations sentimentales
La séduction olfactive
Pour les personnes anosmiques congénitales, la séduction (ou non-séduction) olfactive est un grand mystère. Est-ce que l’odeur est si importante pour démarrer une relation avec l’autre ? Doivent-elles mettre du parfum ou leur propre odeur suffit-elle ? Et si, malgré une hygiène irréprochable, elles sentaient mauvais ? La phase d’approche de l’autre est donc très délicate.
L’attirance à l’autre
Elles se demandent également si elles sont capables de choisir la personne qui est censée leur correspondre ou si elles peuvent se faire confiance dans le choix qu’elles ont fait, ayant entendu que les odeurs sont déterminantes dans le choix de l’être aimé chez les normosmiques. Et si elles allaient à l’encontre de ce que leur dicterait normalement leur corps ?
L’odeur de l’autre
Les anosmiques de naissance n’auront jamais le plaisir de sentir l’odeur de l’être aimé, de s’attacher à cette odeur unique et bien souvent si réconfortante. Ils auront le sentiment de ne pas connaître « complètement » leur conjoint.
La vie intime et sexuelle des personnes anosmiques
N’ayant pas la capacité de sentir leur odeur corporelle, il peut être délicat pour les personnes anosmiques de présenter leur corps à l’autre, d’être intime physiquement avec quelqu’un. Une étude menée au début des années 2010 révèle que les hommes anosmiques ont moins d’aventures sexuelles que les hommes normosmiques. Cela serait dû à un manque de confiance, lui-même lié à l’impossibilité de se sentir. Les femmes anosmiques se sentiraient, elles, moins en sécurité dans leurs relations sentimentales que les femmes normosmiques. Les témoignages recueillis nous indiquent toutefois que les anosmiques de naissance peuvent avoir une vie sexuelle épanouie, s’appuyant notamment sur le plaisir généré par les autres sens.
Être un parent anosmique
Les personnes anosmiques de naissance regrettent de ne pouvoir un jour sentir leur(s) enfant(s). Comme indiqué précédemment, elles rencontrent des difficultés dans la vie quotidienne : elles brûlent très souvent les plats qu’elles préparent pour leur famille, elles ont du mal à déterminer la propreté des vêtements de leur progéniture, elles ne détectent pas le besoin impérieux et urgent de changer leur couche, elles angoissent de ne pas pouvoir identifier un départ de feu dans leur maison et ainsi protéger leurs proches… D’aucuns pourraient trouver les premières anodines et la dernière peu probable. Mais il faut entendre que ces épreuves se répètent tous les jours. Exercer sa parentalité sans odorat n’est pas anodin.
Mémoire, où es-tu ?
La mémoire olfactive est la première à fonctionner chez un bébé. En effet, elle est active chez le fœtus dès le 5ème mois de grossesse. Cette mémoire est d’ailleurs la plus riche en émotions, agréables comme désagréables. Les personnes anosmiques de naissance ne disposent pas du fantastique pouvoir des odeurs à évoquer immédiatement des souvenirs, même très anciens. Sentir un effluve et voir ses souvenirs revenir d’un coup : le chocolat au lait préparé par sa grand-mère, le grenier de la maison de vacances, la promenade sur le sentier des douaniers à la Toussaint… De plus, leur fonction mémorielle semble doublement affectée car certaines des personnes interrogées disent avoir du mal à « fixer » leurs souvenirs ; comme si leurs souvenirs « s’accrochaient » difficilement et, avec eux, les émotions qui y sont associées. Ce « dysfonctionnement » serait-il lié au fait que les odeurs, les émotions et les souvenirs sont logés au même endroit dans le cerveau ?
Un frein ou un impulseur pour trouver son métier ?
Les anosmiques de naissance se rendent compte très vite que bon nombre de professions leur sont inaccessibles. Pour des raisons assez évidentes, les professions étroitement liées à l’olfaction ne sont pas pour elles. Nous pensons notamment aux métiers de bouche ou liés aux parfums. C’est également le cas des métiers où la sécurité des personnes peut être engagée (par exemple pompier, policier, gendarme, agent de sécurité, etc.). En outre, nous parierions que la singularité de la construction des personnes anosmiques de naissance participe au développement de leur sensibilité, de leur créativité et de leur capacité d’observation, autant de compétences très précieuses qu’elles pourront valoriser.
Être NEZ sans odorat, le premier livre publié par Anosmie.org
Ce livre a pour ambition de sensibiliser le grand public à l’anosmie de naissance (c’est-à-dire de l’absence du sens de l’odorat dès la naissance) et à ses conséquences majeures sur la vie des personnes concernées.
Comment se construit-on dans un monde fait d’odeurs quand on naît sans odorat ? Comment s’y adapte-t-on ? Comment vivre avec (ou plutôt sans) ? Comment l’anosmie congénitale impacte-t-elle la relation à soi et à l’autre ? Nous met-elle en danger ? Peut-on avoir une vie « normale » quand on est né·e « sans nez » ? Que peuvent faire les parents pour aider et accompagner leur enfant anosmique de naissance ? Des traitements ou des opérations existent-ils ?
Être NEZ sans odorat tente de répondre à ces questions, en s’appuyant sur des témoignages poignants de personnes anosmiques de naissance et sur des écrits précieux de spécialistes de l’anosmie.
Vous n’êtes pas seul·es !
Vous êtes anosmiques et éprouvez des difficultés dans votre quotidien ?
Vous êtes parents d’un enfant anosmique et voulez des conseils ou des renseignements ?
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